"La fin d'une quête" Vous écoutez Déferlante. Podcast provocateur... de plaisir. Ah, je suis si contente de vous retrouver. Je sors d'un gros refroidissement, j'ai même eu un arrêt maladie à mon travail, ma voix n'est toujours pas bien remise, mais je n'allais pas vous faire patienter encore 10 jours. Bon, allons-y pour cet épisode. *** Elle les collectionnait. Toutes. Avec une patience infinie et un acharnement qui virait à l'obsession. Elle collectionnait les verges, comme d'autres collectionnent les Rolex. Elle les exposait, juste pour le plaisir des yeux... En tant qu'artiste consacrée, dont les toiles se vendaient assez cher, elle avait l'alibi parfait pour faire des moulages de toutes les verges égarées dans son lit, aussi bien au repos qu'en érection. Chacun de ces pénis avait une histoire. L'histoire d'une rencontre, d'une émotion, d'un regard, d'une peau qui frémit et d'un espoir. Une histoire parfois triste, parfois tendre, parfois juste drôle... Mais une histoire qu'elle était la seule à connaître. Dans sa maison, au premier étage, dans la grande pièce qui aurait pu lui servir de dressing, pour y exposer de façon bien bourgeoise les escarpins, les chemisiers en soie, les pulls en cachemire qu'elle aimait tant et tous les sacs siglés, eh bien... dans cette pièce, elle avait choisi d'enchanter le regard autrement. Il y avait des écrins en bois blond, à devanture vitrée, des écrins empilés les uns sur les autres, pour couvrir les murs à hauteur du regard. Des casiers illuminés de l'intérieur, et soigneusement fermés à clef. A l'intérieur de chaque casier, sur un socle en velours, trônaient des sculptures en silicone, plus vraies que nature. Elle réalisait elle-même dans son atelier, grâce à une machine très sophistiquée de création en 3D, mais elle le faisait à partir de ses moulages. En avant plan, dans chacun des casiers, il y avait toujours la verge au repos, alanguie, indifférente à l'admiration. Ou simplement fatiguée après l'amour. C'était une invitation pour le regard. Une invitation à la rêverie. Pleine de promesses. On s'amusait à deviner les traits prochainement tendus, on s'amusait à sous-peser le pénis, son élan, sa force, sa façon d'éjaculer, glissante ou à soubresauts ou peut-être en saccades. En arrière plan, légèrement surélevée, et tournant sur elle-même, on pouvait voir la verge dans sa version érigée. Dans toute sa splendeur, elle accrochait le regard. Un élan puissant, étiré vers quelque part, vers quelque chose, comme un appel inconnu et secret et la promesse d'un plaisir non-dissimulé. Et là... on en avait plein la vue. On pouvait voir clairement les veines, l'arrondi du gland, la finesse de la fente, le frein, les plis, la grosseur, l'épaisseur. On comprenait enfin la force animale prête à s'élancer, dans une sorte de beauté brute, primitive, juste parfaite pour le remplissage d'un bas-ventre ou d'un cul bien rond, moelleux ou rebondi, selon le cas. Oh, elle avait commencé sa collection il y a des années. Lorsque l'amour de sa vie avait quitté ce bas-monde pour repartir dans les étoiles. Une maladie vilaine et fulgurante l'avait emporté vite fait. Faire l'amour avec lui a toujours été la plus belle chose qu'il lui soit arrivé dans cette vie. Alors, naturellement, bien avant de connaître l'existence même de la maladie, elle avait fait des moulages de son pénis, juste pour rigoler. Juste pour le plaisir innocent, d'une oeuvre d'art... très intime. Mais ensuite, en quelque semaines à peine les choses sont allées trop vite, son amour était mort. Mort et enterré. Et la seule chose tangible qui restait de leur passion, c'étaient les moulages de cette verge merveilleuse, dans toute sa mollesse paresseuse et aussi dans toute sa beauté conquérante. Après l'enterrement, l'idée de la collection s'était imposée d'elle-même, comme une évidence. A vrai dire, elle avait encore envie de sucer cette verge qu'elle avait tant aimée. Alors, elle chercha un moyen, et on lui parla de cette machine de fabrication en 3D. Elle se passionna pour les différentes qualités de silicone, jusqu'à en trouver un dont la texture était parfaite, crédible. Un toucher velouté qui faisait illusion: on aurait dit de la peau, plus vraie que nature. Puis, sur sa lancée, elle chercha frénétiquement, à retrouver une verge toute aussi belle, et un amour tout aussi fort. Mais elle ne les avait jamais trouvés, alors qu'elle vieillissait et que sa collection achevait de remplir cette grande pièce. Il ne lui restait qu'un casier vide, un seul. C'était son chagrin. Pendant tout ce temps, elle avait gardé espoir, elle avait inlassablement recherché une verge à la hauteur de son souvenir. Mais non, non... malgré les amants enchaînés les uns après les autres, non! elle n'avait toujours pas trouvé. Et ce dernier casier vide la remplissait d'angoisse. Cette quête semblait toucher à sa fin. Et elle, elle n'avait toujours pas trouvé... Un jour, certains modèles choisis par ses soins, firent l'objet d'une exposition, dans une galerie très en vue. Très anarchiste. Elle fut surprise de constater l'émoi que ces verges en silicone avaient provoqué. On la disait folle. On la trouvait géniale. Apparemment, l'expo avait eu énormément de succès. Alors que, franchement... le public, et même les critiques, - ces gens qui ne faisaient rien, mais qui avaient un avis sur tout - ils ne voyaient que la surface des choses. En vérité, ils ne savaient rien, ni sur les hommes qui lui avaient servi de modèles, ni sur leurs nuits d'amour. Ces verges, elle les avait aimées, pour une nuit ou pour un an, avec la même passion. Le même désir. Toujours emportée par la même quête. Sa bouche les avait toutes goûtées, profondément sucées, longuement léchées, goulument avalées et puis léchées encore. Son cul avait été pris parfois timidement, parfois fermement par ces verges fouineuses, et donneuses de plaisir fiévreux. Elle avait tant joui sur des mots d'amour... sur des râles et des pleurs. Sur des compliments aussi... "- Oh, ma belle, j'aime m'enfoncer dans ton derrière d'Amazone domptée." ou encore " - Ah, le velours de ton cul fait hurler de plaisir ma tête de gland satinée." Ah oui, elle avait aimé chacune de ces verges. Chacun des coups de rein qui l'avait pistonnée et martelée, elle avait aimé clamer du plaisir à haute voix, ou à gémissements assourdis dans des draps froissés. Toutes ces années, pas une verge n'avait quitté sa maison avant d'être dûment immortalisée. Au repos et en érection. Quand elle trouvait le bon moment pour leur en parler, ah, ces hommes avaient soudainement le regard lubrique-enchanté-excité à l'idée de donner leur empreinte pénienne. Ou "pénissière"? (je pense que c'est plus joli) Se rendre à cette artiste pour le moins excentrique. En tout cas, bizarre dans ses préférences. Et clairement meilleure suceuse devant l'Eternel. Parce que, voyez-vous, s'il fallait à tout prix une pénétration, elle n'aimait plus que la fellation ou la sodomie. C'est tout. Son vagin s'était éteint le jour où, quelque jours après l'enterrement de l'homme de sa vie, elle s'était réveillée un bon matin... ensanglantée. "Fausse couche" avait dit le médecin. Elle avait perdu leur bébé. Aussi, elle avait fait une croix sur son vagin. Mais... tout cela était loin déjà. De longues années en arrière, alors n'en parlons plus. Des années patiemment remplies de pénis immortalisés. Etrange, comme elle se souvenait de tous les détails: la texture de la peau, l'odeur, les veines, les poils, les grains de beauté, le goût du sperme. Au milieu de sa salle d'exposition privée, elle avait installé une méridienne en skaï bordeaux, et une table basse à côté. L'après-midi, elle aimait venir lire ou écouter de la musique au milieu de tant d'amours. Parfois, elle levait les yeux et repensait à un parfum, un timbre de voix, un éclat de rire, un râle de jouissance. Un détail de rien du tout... pouvait lui faire revivre des moments charnels et magiques, passés dans les bras de l'homme dont elle admirait la verge siliconée. Mais elle se sentait vieille. Elle était fatiguée de vivre, ses sentiments étaient mitigés. Des tendresses de toutes sortes, et parfois du désespoir. Tendresses pour tous ces éclats de vie, de sexe et d'amour, sagement enfermés dans les casiers du souvenir. Elle avait tant aimé, tant joui. Et désespoir d'être arrivée quasi au bout de cette quête, sans avoir trouvé l'apaisement, l'oubli. Sans avoir pu anesthésier sa douleur de vivre. Et ce jour-là, allongée sur sa méridienne en skaï bordeaux, son thé refroidissait, son livre tombait à terre, mais elle rendit en souriant son dernier souffle, impatiente de rejoindre enfin son plus grand amour. *** Vous avez écouté Déferlante, le podcast du désir.